Partie 2 –
Quel investissement pour l’entreprise ?
Tout le monde semble s’accorder à dire que, même s’il y a des ajustements à prévoir, la montée en puissance du télétravail est souhaitable pour :
- 4 collaborateurs sur 5 selon Corona-work.fr (3)
- 85% des DRH selon l’enquête ANDRH-BGC (4)
Ce n’est finalement pas une surprise. Mais ce qui interpelle plus, c’est que la majorité des Directeurs des Ressources Humaines (59% (4)) pense que cela ne va nécessiter que peu ou pas d’investissements particuliers. Or c’est en fait une grande part des pratiques et de l’organisation qu’il faut repenser, ainsi que les domaines de responsabilité de l’entreprise.
De l’espace au lieu de travail
Le lieu privilégié pour le télétravail est aujourd’hui le domicile. Il est plus fréquent que ce soit une déclaration sur l’honneur du collaborateur plutôt que la visite sur place prônée par l’ANI (Accord National Interprofessionnel), qui assure que l’installation personnelle est propice au travail. Avec l’expérience d’ampleur de ces derniers mois, l’engagement de l’entreprise doit prendre une forme plus opérationnelle pour s’assurer de son respect de l’article L4121-1 du code du travail (5). Cela veut dire au moins :
- Un socle technologique solide : le collaborateur est assuré de la qualité de service de ses outils de travail, du matériel aux applications, des messageries instantanées aux agendas, le tout dans un environnement sécurisé, incontournable pour l’entreprise ;
- Un espace de travail efficace : l’entreprise donne les moyens au salarié, à travers du conseil, de la formation ou du matériel, de s’organiser un environnement confortable, préservant la santé, maintenant l’esprit de corps et favorisant la distinction des temps ;
Les solutions favorisant les conditions de télétravail doivent aussi être examinées à l’aune des postes sédentaires en entreprise, tout le monde doit bénéficier des mêmes avantages. Il s’agit de ne pas créer de déséquilibres entre les différentes situations et désolidariser ainsi les personnes. Par ailleurs, pour le télétravailleur aussi les locaux de son entreprise doivent avoir une certaine attractivité. Sinon, il aura du mal à y revenir si ce n’est pour échanger avec ses collègues. Ce n’est pas assez pour stimuler la performance. Tout cela peut donc amener l’entreprise à investir dans la revisite de ses espaces en lien avec les nouvelles méthodes.
Mais le télétravail peut aussi s’effectuer dans un espace de coworking proche du domicile ou dans une antenne locale de l’entreprise, ce qui décharge de la mise en place. Le collaborateur y retrouve un collectif, qu’il soit de l’entreprise ou non, et évite ainsi le sentiment d’isolement. Si ces solutions impliquent aussi des coûts, elles ont le mérite de sécuriser les engagements de l’entreprise.
Les hypothétiques gains immobiliers
Si moins de collaborateurs mobilisent un poste de travail fixe chaque jour, cela permet d’envisager de repenser l’utilisation des m² disponibles, voire de réduire les surfaces utilisées. C’est alors une perspective de gains majeurs pour l’entreprise. Certes, mais à condition de s’organiser en flex-office, de prévoir toutes sortes d’espaces collaboratifs en conséquence et d’avoir une culture d’entreprise qui le permette. Il faut travailler l’attractivité de l’environnement de travail dans son esthétique mais aussi dans des services de confort associés. Autrement dit, compte tenu des différentes mécaniques de fonctionnement d’entreprise et des budgets à allouer en termes d’aménagements et d’accompagnement des personnes, finalement peu de structures sont réellement concernées.
L’indispensable accompagnement
Ces derniers mois, les managers ont été fortement bousculés et certains modèles managériaux particulièrement mis à mal. Mais cette période de télétravail massif et forcé a eu le mérite de mettre en évidence le rôle du manager dans la santé et sécurité des collaborateurs. Il n’est plus seulement le grand organisateur ou le meneur d’Hommes, il écoute, il échange, il rassure, il fait confiance, il autonomise, il vieille au maintien d’un bon état d’esprit, il assure le droit à la déconnexion, etc… Nous voilà donc dans le domaine des soft skills. Or ces dernières reposent sur des méthodes et des techniques qui s’apprennent, même si c’est plus facile pour certains que pour d’autres, cela reste un vrai apprentissage. Il ne s’agit plus de se dire que le manager peut dire au téléphone ce qui est habituellement échangé en face à face, il doit développer ces nouvelles compétences pour assurer l’efficacité de ses équipes en toutes circonstances. L’investissement formation est alors un enjeu majeur pour ces managers qui portent beaucoup dans ces nouvelles organisations.
De plus en plus d’entreprises misent sur des méthodes de travail plus collaboratives (design thinking, méthode agile…) qui permettent de créer une dynamique commune autour d’un projet, et de rassembler des métiers ou des personnes distantes. Outre l’efficacité attendue de ce type de démarche, les entreprises y voient le moyen de maintenir un sentiment d’appartenance qui peut être distendu par une moindre présence dans les locaux. C’est donc un beau mariage avec le télétravail et il est probable que ces méthodes aient encore de belles heures à venir. Mais là encore, pour que cela fonctionne, tous les participants doivent être formés. La structure est stricte et ne s’improvise pas.
Enfin, entre collaborateurs, il est nécessaire de mettre en place des règles de fonctionnement pour éviter de stimuler quelques effets pervers du télétravail. Une sensibilisation constante est nécessaire sur plusieurs thèmes :
- La communication prudente pour éviter les incompréhensions, voire un sentiment d’agression ou de violence. Difficile d’être mesuré quand on est seul face à sa boîte mail ou derrière son téléphone. Des tensions inutiles ne doivent pas apparaître ;
- Le respect des agendas, car être joignable, ne veut pas dire que l’on peut être interrompu à n’importe quel moment. Il faut de la visibilité sur les disponibilités et assurer des règles de conduite en conséquence ;
- Les modalités précises du droit, ou du devoir, de déconnection pour éviter cette consultation permanente et addictive des messages, de peur de rater une actualité.
Un autre dialogue social
Jusqu’à maintenant, le télétravail occasionnel se gère plus généralement en direct avec son manager, alors que le télétravail régulier suit des règles définies dans le cadre d’un accord d’entreprise. Mais la montée en puissance du travail à distance va impliquer de revoir à la hausse les métiers impactés pour ne pas créer un système à deux vitesses au sein de l’entreprise. Autre défi pour les Directions de Ressources Humaines, rentrer dans une gestion plus individualisée du télétravail. On a récemment constaté que le « seuil de tolérance » n’est pas le même pour tout le monde, que ce soit pour des raisons de localisation géographique, d’organisation personnelle, ou par instinct grégaire. En ce sens, et contrairement à l’idée reçue, les plus jeunes ne sont pas obligatoirement les plus accros au télétravail (3). Ils ont à la fois besoin de relations sociales mais aussi de rester en proximité avec le manager qui accompagne leur début de carrière. Les grands accords d’entreprise vont devoir se repenser en fonction de cette réalité qui oblige à ne pas mettre tout le monde dans le même sac si on veut maintenir la performance des personnes. Cela implique donc de se fixer d’autres objectifs dans le dialogue avec les instances représentatives du personnel, et une lourde augmentation de la charge au niveau des DRH.
Tout ceci impacte aussi significativement les missions des représentants du personnels. Comment veiller à la « bonne santé » et identifier rapidement l’émergence des nouveaux risques professionnels de collaborateurs qui ne sont que partiellement présents auprès de leurs élus. Entre instances représentatives, DRH et salariés, la démultiplication des outils de suivi et de communication devient une nécessité pour maintenir un dialogue concret et efficace.
Conclusion :
Que ce soit en communication, en formation, en aménagement des espaces ou en temps, la montée en puissance du télétravail nécessite un réel investissement. La bonne volonté de chacun ne suffira pas, il est primordial de s’interroger en permanence sur l’efficacité des conditions de travail. L’enjeu est le lien de confiance avec ses salariés, lien qui installe l’entreprise dans le temps.
Les DRH sont en premières lignes sur le sujet et probablement attendues dans la mise en place de solutions innovantes. De nouveaux domaines sont à explorer et il va être primordiale de concentrer ses forces sur les sujets critiques et ne pas hésiter à solliciter des compétences à l’extérieur.
(1) Témoignage de Sébastien Guérard, président de la Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR) dans le journal Le Monde du 22 juin 2020-
(2) Enquête CSA – Malakoff Humanis sur le télétravail – mars 2020
(3) Enquête Corona-work.fr reprise par le Monde du 17 mai 2020
(4) Enquête ANDRH-BCG du 2 au 17 juin 2020
(5) « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. »https://opus-et-verso.fr/le-teletravail-delices-et-desenchantements/
Photo par Yvan Samkov from Pexels